jeudi 14 juillet 2011

Souvenirs de voyages : Ma canne au Manitoba.

Bertha dans les prairies

Ce qu’il y a de beau avec un voyage dans une Bertha de 24 pieds avec trois enfants, c’est l’impossibilité d’amasser du superflu.  C’est pourquoi je suis particulièrement fier de mon premier souvenir de voyage : ma canne du Manitoba.

Je dormais à Portage la Prairie avec ma douce, il était vers les une heure du matin. Une douleur épouvantable m’étreignait la cheville.  Je n’en pouvais plus, j’avais besoin d’Advil (je sais qu’en temps normal, je n’en prends qu’en cas de saturation aigu de liquide fermenté, mais je pouvais bien faire exception).  Je descends donc en grimaçant l’escalier à quatre marches qui sépare  la chambre des maîtres de la salle à manger et lorsque je mets finalement un peu de poids sur ma patte gauche, je me mords langue, lèvres et gencives(et je me serais même mordu les dents si c’était possible) tant la douleur est intense.  Je me pends aux murs du mieux que je peux pour me rendre indemne au cabinet (par chance, les murs sont rapprochés dans mon palace et ledit cabinet n’est qu’à cinq pas de la salle à dîner).  Ouf, j’avale deux comprimés et je m’affale sur le siège et je me regarde le pied, j’y touche.  Ouille… Les murs se mettent à danser, j’ai chaud, j’ai froid, j’ai la tête lourde, j’essaie d’appeler Christine, une fois, deux fois, trois fois. Merde, elle ne se réveille pas ! Les mots sortent-ils de ma bouche où sont-ils seulement dans ma tête ?   Je suis couché sur le prélart, il n’est ni chaud ni froid, je ne sens rien sinon que les murs valsent toujours et que quelqu’un fait un spectacle sons et lumières : ça bourdonne, c’est clair, c’est sombre, c’est clair, ça bourdonne, c’est sombre…

Christine arrive finalement, à moitié endormie, elle me regarde, semble se demander à quel nouveau jeu je veux jouer, mais ne semble pas très consentante.  Je lui dis mon pied.  Elle le regarde et semble presque déçue qu’il n’y ait pas du sang partout.  J’ai rien, qu’elle me dit.  J’ai mal que je lui réponds.   Très mal, même.  À mon joli teint verdâtre et à mes yeux dans la graisse de bines, elle me croit sur parole.

Je finirai la nuit sur la table de la cuisine après avoir été bordé de glace (pour mon pied), d’une tartine au Nutella  (pour retrouver assez d’énergie pour m’endormir plutôt que de perdre connaissance), d’un verre d’eau ( ça aide à faire passer la soif des presque pertes de conscience et celle causée par le Nutella) et d’un beau drap et d’une couverture. 

Le lendemain, je ne suis pas vraiment vaillant : toujours pas capable de marcher, mon pied est enflé, j’ai mal.  J’ai aussi trois enfants qui courent partout.  Christine veut m’envoyer chez un docteur, je veux m’acheter une attelle et une canne.  Le plus con, c’est que je ne sais absolument pas comment je me suis fait si mal.  Bon, d’accord, j’ai joué au foot avec les deux grands et on ne devrait pas tenter de dribbler comme Pélé  quand on est aussi mauvais que moi : je me suis donc tordu la cheville.  Mais il me semble que c’était la droite, et je n’avais pas de problème à marcher après coup et c’est ma patte gauche qui me fait souffrir.  Bon, faut dire qu’avec des enfants on n’arrête pas vraiment de marcher ou même de courir après le petit dernier qui veut se tirer dans le feu en même temps qu’il y tire une brindille, ce qui fait que le muscle n’a pas le temps de refroidir…  Faut aussi ajouter que la bouteille de vin bue a pu jouer le rôle d’un bon analgésique…  Mais quand même… me semble que je l’aurais senti si je m’étais fait mal à en perdre connaissance ? Faut croire que le monde est rempli de mystères. Quoi qu’il en soit, pour ce qui est du docteur, j’aurai évidemment le dernier mot puisqu’après tout, c’est de mon corps dont il est question. J’ai d’ailleurs vraiment l’impression que ce n’est pas cassé. Je le saurais non ?  L’option canne l’emporte donc.

Je suis très fier de mon achat. Avec ma canne, j’ai des airs de Jack Layton.  Je peux d’ailleurs vaquer à presque toutes mes activités, à cette différence près que je me dandine comme un handicapé.  Ma plus grande surprise, c’est que je me sois blessé après seulement dix jours sur la route.  Je savais bien qu’en un an je me blesserais, avec ma capacité légendaire à toujours me blesser, ça n’a rien de surprenant. Mais si tôt ? Je suis moi même surpris.  Si j’étais imbu de moi-même je dirais que j’excelle en la capacité à me péter la marboulette.

D’un autre côté, mon nouvel handicap a eu un drôle d’effet sur la famille.  Élias est du coup devenu beaucoup plus serviable, il nous aide volontiers à mettre la table, à la desservir, il va chercher des choses lorsqu’on lui demande. Il a même mis le linge sur la corde, et il fallait voir avec quel sérieux et quelle application.  Théo marche tranquillement à mes côtés, plein d’attention, semblant tout heureux d’avoir un papa qui marche moins vite que lui. Il semble aussi m’envier et tous les bâtons rencontrés  se métamorphosent en cannes sous ses mains magiques d’enfant de trois ans, quand il ne me vole pas tout simplement la mienne. Je me sens comme dans une téléréalité où le maître de jeu vient d’annoncer un nouvel obstacle à tous les participants qui doivent alors se serrer les coudes.  En regardant l’effet de ma blessure sur mes ouailles, si je ne me retenais pas, je me féliciterais presque de m’être blessé.  Et en plus, j’ai un beau souvenir du Manitoba, dommage qu’elle soit made in Taiwan.
Élias suspend nos vêtements avec beaucoup de concentration... sous le regard surpris de son frère



Éoliennes en Saskatchewan

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