jeudi 7 juillet 2011

Bertha nous voilà !

On s’était d’abord résolus à acheter une vieille minoune, genre 1987 et 200 000 km: nos moyens nous y forçaient.  Mais c’était sans compter les précieux conseils du beau-père, Jean-Yves, qui s’y connaît côté camions…  Il nous a vite fait comprendre que les bonnes affaires, ça se faisait aux États, et après un bref survol de la toile, on a bien vu qu’il avait raison.  Si on achetait dans le sud des États-Unis (Floride, Texas, Louisianne ou Arizona), pour le même prix, on sauvait  une dizaine d’années et plus de 100 000 km!  Les jeux étaient faits : on achèterait dans le sud.  
On a donc décidé de profiter de l’occasion pour se payer des vacances en famille et faire une répétition générale : une semaine en camion.  C’est ce qu’on pourrait appeler une pierre 3 coups.  Le 22 mars, après un départ de la maison à cinq heures trente et trois heures de vol avec trois enfants, ce qui est toujours du sport, nous arrivions donc à Fort Lauderdale, qui était le « spot » selon Jean-Yves,.  On s’est installé à notre hôtel pour débuter nos vacances de riches : il fallait louer une mini-fourgonette et avoir internet à l’hôtel : le magasinage passe désormais par là!  
Première surprise, à Fort-Lauderdale : impossible de trouver une plage!  Le bord de mer n’est pas disponible : les chics résidences ont tout accaparé!  Après une heure de marche avec trois enfants à 30 degrés celsius, on a commencé à en vouloir au préposé de l’hôtel qui nous affirmait que la plage était « right ahead ».  De mon côté, je commençais à trouver que la Floride n’avait rien à voir avec Cape Cod…  mais bon, les enfants se sont revengés dans la piscine de l’hôtel.
Jour 2 : Journée magasinage pour moi, plage pour les enfants.  Après avoir épluché les adresses des concessionnaires de VR de la région, avoir porté la famille à la plage, je suis en route pour dénicher notre maison roulante.  Première déception : sur 7 concessionnaires, je réussis à n’en trouver que 3.  On me dit que les classes C (avec couchette au-dessus du conducteur) de 24 pieds, avec couchette à l’arrière ( ce qui est indispensable pour une chambre d’enfants) de moins de 20 000 dollars sont rares, qu’on se les arrache comme des petits pains chauds, toutes les familles en veulent, que je n’en trouverai pas.  Bon, je savais déjà que nos critères étaient très précis, mais me le faire redire ne me rassure pas tout à fait.  D’autres tentent de me convaincre que 24 pieds, c’est trop petit pour une famille, ce qui ne me surprend pas non plus. On joue dans la catégorie du surdimensionné et de l’hyper-gonflé, où l’on vend pour des nomades sédentaires qui s’installent deux mois par année dans un camping où ils recherchent tout le confort de leur chez-soi avec en prime des tournois de fers, pétanques et jeux de bingo.  C’est clair que de traverser les Amériques en famille nous identifie d’emblée comme des bêtes étranges.  Je n’écouterai donc pas ces derniers, mais leurs commentaires condescendants finiront par m’épuiser dans les prochains jours.  Bref, peu de bonnes nouvelles pour cette première journée. On continuera demain.
Jour 3 : J’ai réussi à trouver d’autres concessionnaires que je n’avais pas remarqué hier, mais toujours sans succès.  Il faut changer notre plan de match.  Au lieu de courir les concessionnaires, nous chercherons les camions un par un.  La recherche est plus longue, mais ça nous évitera les pertes de temps chez les concessionnaires qui n’ont rien pour nous.  On décide donc de plier bagages.  Direction Tampa, puis Orlando, où certains motorisés répondent à nos besoins.  Puis nouveau pépin : l’argent!  On se rend compte que notre magot a été bloqué car nous avions transféré de l’argent d’un compte à l’autre.  C’est donc d’interminables démarches entre la Floride et le Québec, pour pouvoir toucher à notre argent, avec des enfants de plus en plus impatients. Il leur est en effet difficile de comprendre que leurs vacances sont aussi un voyage d’affaires pour papa, maman.  On leur demande beaucoup de patience, mais ils s’en sortent plutôt bien.  C’est toute une pratique pour nous tous.  On veut que les enfants soient heureux, mais il faut trouver…  et ce ne sera pas pour aujourd’hui. Nous avons visité de nouveaux concessionnaires à Charlotte, et Hudson, les trois motorisés qu’on avait ciblés sont tous vendus depuis quelques jours.  La chance ne nous sourit pas encore, mais il fait beau. Les enfants sont épuisés, nous aussi. On trouvera finalement un hôtel à 10 heures le soir.   Mais au lieu d’aller dormir, je profite du calme de la nuit pour éplucher (encore) les annonces internet.  Deux nouveaux motorisés nous attendent demain… 
Jour 4 :  Le vent tourne!  On n’a pas trouvé un, mais deux motorisés qui répondent à nos besoins.  Notre choix ira pour le plus récent, avec le moins de kilométrage, pour plus cher.  Je jubile et Christine s’énerve, elle craint de ne pas faire le bon choix, et si on achetait un véritable tacot? Les téléphones à Jean-Yves, notre spécialiste es camions la rassurera un peu, il tente de nous convaincre que dans une aventure comme la nôtre, on ne peut pas tout contrôler et qu’il faut savoir oser…  Ce avec quoi je suis bien d’accord, mais c’est tout de même stressant. De leur côté, les enfants n’en peuvent plus de manger au restaurant.  Tout ça commence à ressembler à une grève de la fin...  Remarque, on ne peut pas vraiment leur en vouloir, la bouffe des restos américains étant ce qu’elle est… On doit changer nos plans.  Il nous faut trouver des hôtels avec cuisine.  C’est ce que nous trouvons le soir, mais leur « room with kitchenette » n’a pas de four.  Ulcéré, transpirant, et fatigué, je me rends à la réception pour leur demander c’est quoi ce  foutu pays où l’on vend une cuisine sans four.  Ils me répondent que nous avons une kitchenette.  Je leur réponds que dans mon pays, une Kitchen est une kitchen et que l’on se fait à manger avec un four.  Mais les Américains semblent trouver normal qu’une cuisine n’ait qu’un four micro-ondes.  Bienvenue chez l’oncle Sam!  On mangera quand même dans notre chambre d’hôtel: poulet rôti acheté chez K-Mart avec salade.  La bonne humeur revient.  J’aurai au moins appris qu’en Floride, il faut demander « full Kitchen ». C’est déjà ça de compris. 
Jour 5 : Il faut se préparer à importer le camion, s’assurer que le camion est importable,  les recherches sont longues, il faudra le faire assurer…  et on est samedi.  Il faudra attendre à lundi pour ces nombreuses démarches.  En attendant, on aura vraiment des vacances pour deux jours, plage et repos, on ne pense qu’à nos ouailles, qui sont finalement bien heureux de retrouver un papa et une maman plus disponibles.  Ah, j’oubliais, changement d’hôtel pour un hôtel avec « full kitchen ».
Jour 8 :  Le jour J, nous allons acheter!  Surprise, le détaillant refuse de nous donner le titre de propriété puisque nous ne payons pas cash, il veut attendre que la transaction soit complétée.  Ça ne fait pas trop notre affaire, Christine le trouve crosseur, je dois avouer que je comprends ses réticences sans m’en réjouir, il faut dire que sans titre de propriété, impossible d’importer… mais bon, on n’a pas le choix.  On part donc avec notre grosse Bertha, payée en entier, avec un contrat de vente, mais sans titre de propriété. Et nous devons faire confiance à Zachary Crandell.
Christine est au volant de Bertha, il faut aller porter la camionnette de location à l’aéroport de Tampa, avant cinq heures, et il tombe des cordes.  Je comprends maintenant ce que veut dire tempête tropicale.  Ouch!  Au volant de la camionnette (je suis le seul assuré) les rafales me poussent sur le côté, je suis content de ne pas être à la place de Christine!  À l’aéroport, comme on vient pour entrer au retour des locations, il faut s’arrêter : on est trop haut, on ne passe pas.  Oups, reculer sur une autoroute n’est pas l’activité la plus détendante au monde.  Elle me laisse à une fourche et on se dit qu’on se retrouve au quai d’embarquement, et sinon à la fourche en question.  En laissant la voiture de location, un sentiment d’euphorie intense me monte à la tête, je suis comme un gamin à qui on aurait acheté un nouveau vélo.  Aux quais de débarquement, pas de Christine.  Direction la fourche. En courant sous la pluie battante, le sourire fendu jusqu’aux oreilles sur l’accotement de l’autoroute, j’ai sans doute l’air d’un échappé de l’asile sans sa camisole de force.  Je peux me compter chanceux qu’il n’y ait pas eu davantage de policiers, ils m’auraient amené directement en institut psychiatrique.  Parlant policiers, pendant que je jubile, Christine fait son premier accrochage.  Ouch, le marche-pied n’avait pas été rentré!  Une démone gesticulante sort de son auto en vociférant des énormités, elle crie police! Police! POLICE! Qui arrive finalement.  Christine se fait servir un « stay there don’t move ».  Comble de malchance, Christine n’a pas le numéro de l’assurance, c’est moi qui l’ai gardé dans ma poche!  Mais, par chance, le policier semble deviner que ma douce moitié est sur le bord de la crise, et tente de faire comprendre à l’autre hystérique que son auto n’a absolument rien, le marche-pied a frôlé son pneu, c’est tout.    L’hystérique semble tenir mordicus à ce que sa voiture soit une perte totale, mais le policier laisse repartir Christine et laisse l’hystérique avec son hystérie.
Mais je n’apprendrai tout ça qu’une heure plus tard, quand on réussit à se retrouver.  (En passant, c’est vraiment excitant de traverser 6 voies d’autoroute en courant à la pluie battante!)  On trouve un resto, encore un, les enfants nous le font sentir…  Leur grève de la faim est encore fraîche…  Mais bon, on réussit à trouver un restaurant où ils servent dans la même assiette gauffres et poulet frit!  Décidément, les Américains n’ont pas fini de me surprendre!
Notre première nuit dans notre maison roulante, on la passe sous la pluie dans un « rest area ».  Avant de m’endormir, avec Élias sur la table de la cuisine, Théo dans le lit double à l’arrière, Ariel dans un parc à l’équilibre précaire : une patte sur un soulier, un chaudron, une planche à légume, moi et Christine dans notre couchette avec un plafond de deux pieds, je suis le plus heureux des hommes.  On a réussi. Si certains me connaissent, ils savent que je n’ai rien, mais rien, d’un homme d’affaires, mais on l’a achetée, notre Bertha.  Notre projet de fou se réalisera donc. Je t’aime Christine, je vous aime Élias, Théo et Ariel.  Bonne nuit.
Jour 9 : On aurait pu rester en Floride pour profiter de la plage et aller chercher directement notre titre de propriété, mais il pleut et on gèle.  Aussi bien rouler et espérer que notre concessionnaire sera davantage un bon samaritain qu’une crapule…  Alors on roule, et on fait confiance au destin.  Premier arrêt : Jacksonville, à la frontière de la Floride, on est dans un splendide State Park.  En arrivant au camping les enfants sont aussi excités que nous, et dès qu’ils sont sortis, ils partent, en bons Davy Crocket, explorer.  Évidemment, ils se perdent dans la forêt et Christine doit les rejoindre pour leur montrer le chemin.  Pendant ce temps là, je stationne Bertha… CRAC!  Je sors pour voir ce qui cloche.  Merde! Merde! Merde!  J’ai arraché l’entrée d’eau, notre terrain de camping s’inonde.  Inutile de dire que je ne suis pas trop fier de moi.  Le « ranger », au flegme extraordinaire vient boucher le trou et refaire la tuyauterie.  Ma plus grande surprise est qu’il ne semble même pas me trouver innocent, on dirait presque qu’il s’amuse.  Ça me prend quand même un petit bout de temps à dépomper, mais j’y arriverai après un bon souper et une bouteille de vin…
Jour 10 et 11 : Il pleut. On roule.  On dort dans des « rest area ».  Les enfants jouent dans la bouette quand on s’arrête.  Le tapis de la roulotte commence à être affreusement sale, il faudra l’arracher c’est sûr.
Jour 12 : Aujourd’hui, j’ai la brillantissime idée, en passant par Washington, d’arrêter au musée de l’histoire naturelle pour y voir les dinosaures.  Inconscient vous me direz, je n’avais pas pensé que le centre-ville de Washington avec une Bertha de 24 pieds ne serait pas une sinécure…  Les stationnements n’existent pas, il n’y a que des stationnements souterrains où on ne peut entrer.  Je me paye même le luxe de devoir reculer dans un sens unique en plein centre-ville après m’être rendu compte que j’arracherais le toit de Bertha en passant sous ce putain de viaduc. Christine me trouve le plus innocent des orangs-outangs de la planète, mais a la délicatesse de ne pas trop le montrer.   On trouve finalement un stationnement près d’un cimetière, à huit stations de métro du centre-ville.  Mais le métro est un manège pour des enfants, et les dinosaures sont à la hauteur des espérances de Théo; Élias en a assez vu après quinze minutes, alors il faut le traîner jusqu’à la sortie, mais en sortant on se paye une frite et un tour de caroussel avant de revenir en métro.  C’est une journée réussie.  Christine me dira le soir que même si je suis le plus grand innocent au monde, les dinosaures étaient une bonne idée.  Les enfants sont heureux.  Théo me demandera même le lendemain de retourner aux dinosaures.  Ce qui est beau avec les enfants, c’est qu’ils ne voient pas toutes les bêtises de leurs parents…
Jour 13 :  Route et pluie
Jour 14 : Arrivée à la douane.  Je devrai rester encore deux jours en attendant les papiers.  Christine doit partir, une importante réunion de travail l’attend le lendemain.  Les beaux- parents, Jean-Yves et Ginette, viendront chercher ma famille.  Mes parents à moi garderont les enfants pour que Christine puisse travailler.  Merci aux grands-parents.
Jour 16 :  Après deux jours à jouer le vieux garçon, arracher du tapis, aller deux fois au cinéma, écrire, boire tout seul,  je peux passer les douanes.  Deux heures de paperasse et ça y est.  Je hurle de joie en passant la douane : je rentre au pays avec notre maison roulante!





Pour voir un petit vidéo résumant la préparation de Bertha pour notre grand voyage, allez visiter ce lien:
http://www.youtube.com/watch?v=4IBL-Y_Mps8 





1 commentaire:

  1. Je crois que si jamais vous êtes en manque d'argent à votre retour de voyage, vous pourrez vendre les droits de cette histoire floridienne abracadabrante à des cinéastes d'Hollywood. Vous devriez en tirer un bon prix.

    La première fois que je me suis connecté à votre site Internet, je me suis dit en voyant la photo de la page d'accueil : « Wow! Quelle belle photo! », puis « Comment ont-ils fait en plus pour dégoter un VR avec une représentation d'une famille de 5 personnes sur la carosserie? » Évidemment, c'est en voyant les vidéos (très entraînantes et tout à fait charmantes) que j'ai compris. Le gars qui a fait ça est un artiste. Quelle bonne idée cette représentation des deux Amériques, je devrais dire trois en fait, et cette belle suggestion du drapeau du Québec. Félicitations pour cette belle idée.

    Il m'est arrivé parfois de me demander moi aussi si ce n'était pas un peu audacieux ce voyage, mais quand j'ai vu les vidéos, tous mes doutes ont pris le bord. Vous faites bien.

    Alors, en terminant, bonne route et moins de péripéties qu'en Floride, si possible.

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