mercredi 27 juillet 2011

Le changement



Nous sommes aujourd’hui le 24 juillet, cela fait donc un mois que nous sommes partis.  Nous sommes installés depuis deux jours sur une plage de la côte perdue, en Californie.  Et croyez-moi, elle porte bien son nom…  25 kilomètres d’une route étroite et tortueuse longeant des précipices pour s‘y rendre, ce qui nous a pris une heure…  Mais ça vaut le détour.  Depuis deux jours, nous n’avons croisé que deux personnes : des touristes comme nous venus voir la plage. À part ces deux présences humaines, on est seul au monde, avec les rochers, la mer, la brume, les Bernard l’ermitte…  Il y a ici comme un petit parfum de paradis, malgré la brume et le temps plutôt froid.  Se retrouver ainsi seuls ensemble me fait comprendre pourquoi nous sommes partis.  Ce n’est peut-être pas tant pour tous les paysages ou les gens que nous verrons et rencontrerons.  Bien sûr ça a pesé dans la balance, mais le plus beau spectacle, c’est le changement que je vois à chaque jour chez mes trois grands garçons.  Ils ne sont déjà plus les mêmes qu’il y a un mois.  Ils ne sont plus seulement des petits enfants de la ville.  Leur carapace s’est endurcie.  Les maringouins furent le premier grand prétexte de chiâlage et maintenant, les maringouins font partie de la vie, tout simplement.  L’eau froide n’est plus aussi froide qu’elle était (ils se sont baignés dans le lac Annette au  Parc Jasper qui ne devait pas être à plus de 18 degré celcius).  Les plaintes devant les assiettes (j’en veux pas !, c’est pas bon ! je veux des pâtes au pesto !) ont également disparues (enfin presque toujours, Théo résiste encore parfois) lorsqu’ils ont compris que notre garde-manger était petit et qu’on mangeait ce qu’on avait, ce qu’on trouvait.  Du coup, ils ont cessé d’être des monstres dans les épiceries et Élias fait de plus en plus souvent les courses avec maman. Participer aux courses le responsabilise et jamais plus il ne se plaint devant son assiette.
Élias et Théo au lac Louise

Mais le principal changement est venu d’ailleurs.  On entend souvent qu’on peut et qu’on devrait faire plus avec moins.  Personnellement, j’ai toujours aimé l’idée de simplicité, mais je me demandais comment les enfants, eux, réagiraient.  En passant d’une salle de jeu pleine à craquer aux quelques jouets du motorisé, ne risquait-on pas tornades, ouragans, tsunamis de la part de nos trois chérubins ?  Mais bon, je me disais que les enfants devraient bien s’y faire et qu’on apprendrait tous à vivre autrement.  Que c’était un apprentissage nécessaire même s’il s’avérerait difficile. Et c’est là que nous avons eu peut-être la plus grande surprise depuis notre départ.  Il n’y eut pratiquement pas de crise pour les jouets.   Ou une fois peut-être.  Élias était découragé d’avoir eu à sa fête des voitures de course (Flash Mcqueen et Francesco) sans avoir de piste de course… Alors du tape électrique sur notre beau prélart est devenu le grand prix de Monaco.  C’était l’extase ! Cet incident à part, les enfants ont presque semblé libérés, et je me trouverais presque ridicule d’écrire une telle chose, si ce n’était pas si vrai.  Dès les premiers jours, le ballon de foot (soccer pour Nord- Américains, mais on se dirige où le foot s’appelle foot, alors on s’y met) est devenu presque une religion, les pelles et les seaux sont devenus les meilleurs amis des enfants, et le monde est devenu leur terrain de jeu.  Mais le plus grand changement n’est pas dans la quantité de jouets, il est dans les jeux eux-mêmes et surtout dans les yeux de mes enfants qui regardent le monde.  Depuis une heure que je les regarde, un rocher s’est transformé en bateau de pirates, des branches en épées, un jonc en longue vue, et les escargots et les Bernard l’ermitte en trésors.  Ils sont autonomes ! Théo et Élias jouent ENSEMBLE. L’imagination et la créativité de mes enfants semblent avoir connu leur révolution copernicienne. Et diminuer le nombre de jouet semble les avoir rendus disponibles au monde qui les entoure. Les roches, les coquillages, le sable, les arbres, les étoiles de mer, les dollars de sable, les insectes, tout semble éveiller leur curiosité. C’est comme si je sentais que déjà, nous avions un peu gagné notre pari :  en diminuant les choses autour d’eux, nous avions permis au monde d’entrer en eux.
 






"Dedans", le nouveau mot d'Ariel







Et Ariel me demanderez-vous ? Où en est-il ?  Ariel a trouvé le départ difficile. Très.  Le voyagement l’épuisait, ne pas dormir dans son lit l’épuisait, en fait, ne pas dormir tout court l’épuisait.  Passer tant de temps dehors l’épuisait : trop de vent, trop de soleil, trop de sable (eh oui, il n’aimait pas le sable à Kill Bear).  Puis il refusa de passer du temps dans son siège d’auto.  Ouch, la route semblait du coup beaucoup plus longue…  Et pour aider le tout, Ariel a cinq nouvelles dents depuis un mois… et c’est sans compter le désagrément des piqûres de maringouins. Puis après une dizaine de jours, quelque chose a changé.  Il s’est remis à mieux dormir.  Il a compris que s’il restait assis par terre,  il pouvait ne pas rester dans son banc  sans arrêt!  Il a découvert le plaisir des feux de camp, parfois au grand déplaisir de  son papa, qui, malgré les apparences, peut être inquiet… Il a découvert le plaisir des roches et des bâtons qu’on peut lancer dans l’eau. Lorsque son camion s’arrête, il court vers la porte en hurlant, SORTEZ-MOI JE VEUX JOUER DEHORS (Heuh, heuh, heuh, ou encore HIIIIIHHHH, dans son langage).  Bref, lorsque je regarde mon Ariel, je me dis que c’est lui qui s’est habitué le plus vite.  Je crois même qu’il n’a plus aucun souvenir de sa vie d’avant, peut-être des gens, mais sa maison, j’en doute, peut-être comme un rêve.  Ce qui est sûr, c’est qu’Ariel sera un enfant dont les premières impressions (et je ne dis pas souvenirs) seront celles d’un enfant qui jouait dehors, et dont sa maison était un camion.  C’est tout de même génial…
Ariel dans son bain



Bref, en un mois, je trouve que mes garçons ont beaucoup grandi, ils sont beaux dans ce qu’ils deviennent… et je suis fier d’eux.  C’est kitsch peut-être, mais c’est peut-être ça être papa, être kitsch et s’assumer.


Jeux au lac Annette










1 commentaire:

  1. Ta description me rappelle comment nous avons passé notre propre enfance, et comment on a pu essayé de donner un peu de cette enfance à nos enfants..

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