lundi 10 octobre 2011

Notre ami Vigotsky, la pluie y los bichos…

Vigotsky n’est pas le genre d’ami que nous rencontrons sur la route.  C’est plutôt le genre d’ami qu’on traîne avec nous, comme Sénèque, Camus, ou Homère.  Vigotsky est psychologue et la zone proximale de développement, c’est lui.  Pour faire une histoire courte, cette zone est celle où nos enfants se retrouvent face à un défi qui semble insurmontable, mais qu’ils seront capables de surmonter si papa et maman leur tient la main.  C’est un sol glissant où nous marchons.  Et ensemble, s’il est impossible de ne pas tanguer quelquefois, nous réussissons à rester debout.  Le surfers nous diraient que nous sommes sur la crête de la vague.  Un peu naïvement, nous croyions peut-être que nous réussirions à trouver un petit rythme tranquille et peinard sur la route…  Et si certains moments sont en effet tranquilles et peinards, il faut savoir en jouir pleinement, car le lendemain est toujours imprévisible on ne sait pas quand il nous ramènera sur la crête de la vague.

Donc l’arrivée à Tikal.  Une longue journée de route avec un long passage à la frontière, ce qui n’est jamais de tout repos.  Mais au moins, nous savions où dormir : au camping à Tikal.  Le camping serait détendant pour tous, que nous nous disions…  Mais il tombait des clous…  Et après quelques temps de jeu, un cri épouvantable nous alarme.  Ariel a les deux pieds dans une fourmilière et hurle de douleur.  Je l’arrache de là, essaie de le déshabiller tout en me faisant piquer les deux bras au passage. Je le catapulte à Christine qui est dans Bertha, qui tente à son tour de le déshabiller tout en se faisant piquer à son tour les deux bras avant de pouvoir le laver à la grande eau.  Je constate les dégâts, environ 70 piqûres sur un seul bras : il doit en avoir plus de deux cents sur tout le corps !  Ariel a fini de crier mais la tension monte.  On ne connaît pas ces fourmis.  On se souvient de Théo qui avait été fiévreux pendant deux jours après s’être fait piquer par des maringouins à St-Donat, et on était loin des deux cents piqûres d’Ariel.  On se croise les doigts en espérant qu'il ne réagira pas trop… Ariel se rétablira en champion et finalement, après le scorpion, les fourmis ne nous auront au fond fait plus de peur que de mal…

Le lendemain à sept heures, on est à Tikal, les enfants sont ravis de pouvoir enfin grimper dans les ruines, ce qu’ils n’avaient pu faire à Chichen-Itza et les avait bien déçus.  C’est le terrain de jeu le plus spectaculaire et sans doute le plus éprouvant qu’ils ont connu.  Les marches sont abruptes, plus hautes que le genou pour nos deux grands.  Ils sont à la fois émerveillés et craintifs, les mains de papa et maman sont indispensables.  Le site dans la jungle avec ses oiseaux qui nous crient dans les oreilles, ses dindes sauvages, ses coatis, et même un capibara est merveilleux.  Mais pour faciliter encore les choses, il se met à pleuvoir à boire debout et les marches déjà dangereuses deviennent franchement psychopathes…   Lorsque l’on sort du site, c’est un peu en sacrant que l’on voit apparaître un beau gros soleil.  Mais nous sommes heureux, les deux grands sont ravis, réellement impressionnés par ce qu’ils ont fait.


Coati à Tikal





Le soir on s’arrête à Flores, une île sur le très beau lac Peten Itza.  Notre instinct nous sert, nous n’essayons même pas d’entrer dans la ville mais dormons sur la route qui ceinture l’île, la seule qui pouvait accueillir notre Bertha.  Les routes sont si petites que dans plusieurs d’entre elles, seules les motos peuvent circuler, d’autres rues se terminent en escaliers, c’est un vrai plaisir de se balader en ville, mais à pied !  On se trouve plus tard un quai sur le bord de l’eau et les trois joueront pendant des heures à sauter du quai, qui fait plus de deux mètres de haut !  Dire qu’au début du voyage, les enfants n’osaient pas nager s’ils ne voyaient pas le fond de l’eau !  Nous avons maintenant trois marsouins !

Le lendemain, après avoir passé la matinée à pratiquer nos sauts de l’ange dans le lac Peten Itza, nous nous dirigeons vers Copan, et nous dormons en chemin dans une station d’essence au milieu de nulle part.  On retrouve ici des scènes que l’on connaissait bien :  Les femmes en habits traditionnels qui portent des énormes bols de maïs sur leur tête, des hommes avec machette qui transportent des fagots énormes de bois noués autour de leur front, des enfants de six et sept ans qui prennent soin de leurs frères et sœurs de deux ans.  Des enfants se lavant dans le ruisseau passant sous, et parfois sur la route.  Bienvenue en Amérique centrale !






Baignade dans le lac Péten Iza






Le lendemain, on veut se rendre à Lanquin où il y a des grottes et des chutes magnifiques.  En chemin, la route coupée nous oblige à traverser sur un bac, conduit par un drôle de monsieur assis dans une poubelle en métal... 










Pour arriver à Lanquin, nous devons descendre une route de pierre épouvantable sur dix kilomètres : ça nous prend une heure et nos freins sont épuisés…  On décide de continuer vers les chutes Semuc Champey…  Quelques kilomètres de montée plus loin, Bertha se met à glisser, glisser, glisser.  Break à bras :  «   Christine, on ne montera jamais ! »  « ? »  Je me mets à patiner à reculons, je dois mettre les freins pour ne pas prendre trop de vitesse, mais les freins nous font déraper : je m’échoue sur le bord de la route : le derrière de Bertha dans le tas de terre qui borde la route.  Bloqués ?  Christine, par je ne sais quel miracle, nous sort du trou et on est quitte pour reculer en patinant sur une route glissante, abrupte, bouetteuse à bord de notre engin de 5 tonnes sur 600 mètres…  Résultat : on dormira à Lanquin et irons aux chutes en pick-up demain…

Premier tour de boite de pick-up
Le lendemain est la première expérience de boîte de pick-up pour les gars, et en voyant le chemin, il est maintenant évident que notre grosse Bertha ne passait pas par là : c’est presque une chance d’avoir été obligés de revenir sur nos pas si tôt hier.  Élias et Théo jubilent, Ariel dort sur le dos de maman, mais les cahots épuisent et Théo termine la « ride » assis sur notre sac à dos transformé en divan et Élias, suspendu aux genoux de son papa.  Après un sentier dans la jungle, encore elle, les chutes.  C’est un des plus beaux spectacles que j’ai vu depuis longtemps, digne des glaciers de Torres del Paine (t’en souviens-tu Jean-Yves) ou du salar de Uyuni.  La chute s’enfonce dans une grotte souterraine de plus de 50 mètres de profondeur pour ressortir 400 mètres plus loin et au dessus de la chute, une douzaine de cenotes (bassins) se succèdent, de couleur émeraude à turquoise.  Mais l’eau est froide et le fond incertain et il faut un bon trente minutes et l’aide de papa-maman pour que les enfants apprivoisent ce nouveau terrain de jeu :  Ah cher Vigotsky ! il est si bon de t’avoir comme compagnon de voyage…  


Pour ne pas pousser notre chance on décide de ne pas retourner se baigner après le dîner, mais plutôt de revenir doucement par le mirador.  Mais le sentier n’est pas ce qu’on croyait…  l’heure de marche prévue en prendra deux .  La montée est vertigineuse la descente tout autant.  Impossible de lâcher la main des enfants une seule seconde car le précipice les attend.  Pour couronner le tout, la pluie reprend de plus belle.  Le chemin devient vraiment dangereux.  Christine serre les dents : avec Ariel sur le dos, le contrat est gros, on garde le sourire.  Vers la fin, Théo tombe à chaque pas, il finira la randonnée sur les épaules de papa, lourde responsabilité : dans tous les sens du terme…  La descente terminée, on voit une pancarte annonçant que le niveau de difficulté de la montée au mirador est très difficile, si seulement il y avait eu cette pancarte à l’autre entrée du mirador…  C’est finalement avec des cris de joie que l’on se jette dans les cenotes, on a sans doute battu des records de saleté !  Élias nous surprend tous en faisant la fin de la randonnée au pas de course !  Et c’est écrasés les uns sur les autres au fond du pick-up, souriants, sous la pluie battante, qu’on retourne à Bertha.  Les touristes qui nous accompagnent nous dévisagent incrédules, je crois que nous sommes les gens les plus dingues qu’ils ont vus depuis longtemps.  Ils sont partagés entre l’admiration et le désir de nous crier notre imprudence, notre étourderie, notre bêtise, mais devant nos sourires, je crois qu’ils optent finalement pour l’admiration.  Bref, si nous avions encore des doutes sur l’état de notre santé mentale, je crois que nous pouvons affirmer sans l’ombre d’un doute qu’à nous cinq, nous faisons une belle équipe de cinglés.

Vue du mirador

Pendant que nous préparons le souper, les trois creusent des trous et cherchent les rivières souterraines. Avec un verre de rhum en main (qu’il est bon le rhum après la tequila du Mexique !), moi et Christine se sentons comme après une randonnée de ski de fond de trente-cinq kilomètres à 25 sous zéro.  Mais surtout, le bonheur de sentir que nous avons réussi quelque chose d’impensable est particulièrement intense.  Ce soir, le monde a cessé de tourner, ce petit moment d’éternité vaut tout l’or du monde.  Pour rien au monde, malgré la pluie qui tombe toujours, nous voudrions être ailleurs.

Les trois, les cinq, je suis fier de nous.  Merci Vigotsky. Tu avais raison, « with a little help for my friends » (tu vois Marc, je sais l’écrire mieux que je ne sais le chanter), l’impossible est toujours plus loin, horizon est toujours plus près.

2 commentaires:

  1. "Bref, si nous avions encore des doutes sur l’état de notre santé mentale, je crois que nous pouvons affirmer sans l’ombre d’un doute qu’à nous cinq, nous faisons une belle équipe de cinglés." - probablement ma phrase préférée de votre voyage. Bravo à vous!

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  2. Vous suivre est un peu stressant,mais combien admirable est ce vécu de famille .
    Jean-François,même à distance,tu me permets de faire encore des découvertes ..et si jamais ,à ton tour, tu cherches un sujet de doctorat...ton rapprochement à Vygotsky et sa construction sociale des savoirs s'illustre entièrement dans l'accompagnement que Christine et toi offrez aux enfants . Avec ce voyage et tes réflexions philosophiques ,tu auras de quoi profiter encore longtemps de cette aventure.¨ Vos enfants fonctionnent avec vous à un niveau supérieur à ce qu'ils seraient capables de faire seuls¨.C'est le rôle des parents et des adultes de trouver la façon d'accompagner ainsi les enfants .
    Mais que veux-tu , je suis ta mère et je ne peux m'empêcher de vous dire : Soyez prudents
    Je vous embrasse tous et je vous aime
    Micheline

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